Une affiche "Libérez Makaila Nguebla" diffusée par le
Réseau des journalistes en ligne et blogueurs du Sénégal. (DR Réseau des
Blogueurs du Sénégal)
Makaila Nguebla,
blogueur et membre de la Raddho (Rencontre africaine des défenseurs des droits
de l'homme), est la nouvelle victime d'une chasse aux sorcières qui ne dit pas
son nom au Sénégal. Ce Tchadien a été arrêté,
mardi 7 mai dans l'après-midi, par les autorités sénégalaises, entendu par la
DST (Division surveillance territoriale) puis expulsé du pays aux alentours de
23h30 (heure de Dakar) vers la Guinée-Conakry.
Le jeune homme d'une
trentaine d'années vivait au Sénégal depuis 2005 et s'était fait connaître pour
ses activités de journaliste engagé sur la radio locale SudFM mais aussi pour
la publication sur son blog, recueil de billets virulents à
l'encontre du régime en place au Tchad. Il avait plusieurs fois demandé le
statut de réfugié politique au Sénégal mais ne l'avait jamais obtenu. Il avait
déjà été expulsé de Tunisie avant de se rendre au Sénégal.
Appel
à la démission de Déby
Ces dernières semaines,
Makaila Ngueba travaillait sur la communication d'un groupe de travail autour
du thème "Femmes, paix et sécurité" en Afrique de l'Ouest.
Dans le dernier billet
publié sur son blog mardi, Makaila Nguebla, dénonçait "les arrestations
arbitraires et illégales de ces derniers temps au Tchad" ainsi que
"l'absence de liberté et le déficit de démocratie au sein du régime en
place" avant d'appeler purement et simplement à la démission d'Idriss
Deby, Président de la République du Tchad, à la tête d'un "régime
illégitime qui règne par la terreur et la répression". Plusieurs
journalistes et blogueurs sont actuellement emprisonnés au Tchad sous prétexte
d'un complot visant le régime d'Idriss Déby.
"Je pense que la visite du
ministre de la justice tchadien Jean-Bernard Padaré, il y a quelques jours, y
est sûrement pour quelque chose. Makaila se définit comme un combattant au
service de la liberté. Il est très critique envers le pouvoir tchadien",
analyse le jeune blogueur Sénégalais Ibra Seck Cassis, ami proche de Nguebla
avec qui il collabore régulièrement. "Je regrette qu'il ait été expulsé.
On n'avait jamais vu ça au Sénégal, terre d'asile, garante des libertés, avant
l'arrivée de Macky Sall. Le Sénégal n'a pas pour habitude de livrer des gens
aux dictateurs d'Afrique."
Jean-Bernard Padaré
s'était rendu au Sénégal afin de sceller un accord de coopération judiciaire
entre les deux pays, en vue du futur procès de Hissène Habré (ancien chef de
l'Etat tchadien accusé de crimes contre l'humanité).
Les réactions de la Raddho, de la Ligue
Sénégalaise des Droits de l'Homme ainsi que d'Amnesty International Sénégal ne
se sont pas faites attendre. Les trois ONG se sont fendues d'un
communiquépublié mardi soir dans lequel elles ont condamné
l'arrestation du blogueur. "Cette arrestation, qui est liée à ses
activités de journaliste et de bloggeur constitue une atteinte grave à son
droit à la liberté d'opinion et d'expression […]", écrivent les trois ONG
avant d'exiger sa libération immédiate et sans conditions.
"Une
atteinte aux droits des réfugiés et demandeurs d'asile"
De nombreux journalistes
web et le Réseau
des Blogueurs du Sénégal ont également
dénoncé l'arrestation et l'expulsion de Makaila Nguebla, affirmant qu'elles
portaient atteinte à la liberté d'expression. Au moyen d'une action menée toute
la journée du 8 mai sur les réseaux sociaux, dénommée #FreeMakaila, ils interpellent
les autorités sénégalaises sur les véritables motifs de cette expulsion et
espèrent que Makaila Nguebla ne sera pas extradé vers le Tchad. Ils ont d'ores
et déjà enjoint plusieurs ONG à rejoindre leur cause, parmi lesquelles
Reporters Sans Frontières, afin que la protection du blogueur soit assurée.
La Raddho, la LSDH et
Amesty International Sénégal ont regretté "la volonté du gouvernement du
Sénégal de museler et de réduire au silence les réfugiés et demandeurs d'asile
dès lors qu'ils émettent des opinions critiques à l'encontre des gouvernants de
leur pays d'origine" et dénoncent "une atteinte inacceptable aux
droits fondamentaux des réfugiés et demandeurs d'asile".
Mi-avril, le Sénégal avait
expulsé vers le Mali, Koukoye Samba Sagna opposant gambien au pouvoir du
dictateur Yahya Jammeh, alors installé dans le pays de la Teranga comme réfugié
politique. Actuellement, Makaila Ngueba serait sous surveillance à Conakry sans
aucun moyen de communication à sa portée.
Katia Touré - Le Nouvel Observateur
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