«Ce jour-là, Pape Cheikh et Rama avaient donné
rendez-vous avec la mort à l’arrêt bus»
Machallah. L’une des
plus prestigieuses écoles privées de Dakar vient de subir un choc. Un
électrochoc. Pape Cheikh Sall et Ramatoulaye Dramé, deux élèves de cet
établissement, ont été mortellement fauchés par un camion fou le 25 mai 2012 au
retour de l’école. L’Observateur est retourné sur les lieux du drame et de
deuil.
Vendredi 27 mai 2012. 16 heures 25 mn. Sacré-Coeur 3. A quelques
encablures de la Voie de dégagement Nord (Vdn) de Dakar. Le collège
«Machallah», une grande bâtisse, se dresse en majuscule. Les murs sont d’une
blancheur éclatante, immaculée, mais l’instant est couvert du voile noir du
deuil. Le temps semble s’y être figé dans l’établissement. Le calme est pesant.
L’étreinte du deuil est palpable, suffocante. Aucune âme ne traîne dans la
cour. Seul le gardien, Sébastien Badji, donne un peu de vie à cette enceinte devenue
subitement déserte. Depuis qu’un camion fou a écrasé mortellement deux des
leurs, Ramatoulaye Dramé et Pape Cheikh Sall, deux élèves de la seconde Gb, les
potaches semblent marcher dans le vide. Depuis ce funeste mercredi 25 mai,
Machallah demande encore à Allah le pourquoi du comment d’un drame qui hante
toute l’école.
A première vue, M.
Badji n’est pas dans ses meilleurs jours. Il a l’air fatigué. Celui de
quelqu’un sur qui le monde s’est effondré. Il s’étire comme pour se libérer
d’une mauvaise énergie. En face de lui,
la cour ressemble à une sorte de néant. Un vaste espace propre qui s’étend
à perte de vue. Des voitures 4X4 y sont soigneusement garées. La discipline et
la rigueur en vigueur dans cet établissement sont visiblement à l’entrée :
«Portable interdit», lit-on à l’entrée qui donne accès aux salles de classes. «Les
cours sont suspendus jusqu’à lundi», nous confie Sébastien Badji, le
responsable de la sécurité. Les yeux rougis, M. Badji, celui qui veille sur la
«sécurité» des potaches, n’avait pas ce jour-là les moyens de défendre les
«enfants», ses «enfants», face à la grande faucheuse.
Il se souvient de
cette journée macabre de mercredi. Mais, il met du temps à se décider pour en
parler. «Je suis le responsable de la sécurité», finit-il par lâcher. Avant de
poursuivre : « L’accident s’est produit à 13 heures. Les élèves rentraient
chez eux. Arrivé à l’arrêt du bus, c’est là-bas que le camion les a trouvés
pour les écraser. Quand on nous alertait, nous étions tous dans l’émoi. Nous ne
savions pas s’ils étaient morts ou pas.» Il se tait un instant. Puis continue
de dérouler l’horreur : «Ils n’étaient pas morts sur le coup. C’est en les
acheminant à l’hôpital qu’ils ont rendu l’âme.» Et, quand on lui demande ce
qu’il connaissait de ces élèves, le visage de M. Badji s’assombrit. On y lit
beaucoup de peine. «Je les connaissais très bien. Parce que l’école Machallah
est une famille. Tout le monde se connaît. Ils étaient très bien.»
Il regarde dans le
vide. Comme quelqu’un qui cherchait à retrouver quelque chose qui lui est cher.
Les larmes aux yeux, la voix tremblotante, il témoigne : «Rama avait un comportement
très exemplaire. Elle était très disciplinée. Je ne l’ai jamais vue sortir de
l’école avec une convocation (de ses parents). Elle était la première à être à
l’école, à 7 heures du matin. Et son chauffeur venait la chercher chaque jour
devant l’école. Ce jour-là, c’est peut-être parce qu’elle avait rendez-vous
avec la mort qu’elle s’est rendue à l’arrêt.»
Juste en face de
l’école, un garage de mécaniciens. Là également, les activités semblent être au
ralenti. Visiblement, les mécaniciens trouvés sur place n’ont pas le cœur à
l’ouvrage. Assis sur un canapé en fer forgé, ils devisent voix basse. Seul un
d’entre eux trouve encore un peu de force pour polir une barre de fer. Ses
coups de marteau semblent atones. Maktar Maïga, c’est son nom. Une part de lui
l’a quitté et il n’en revient toujours pas : «Je connais très bien Rama.
La veille, avant son accident, elle était là (il indique un endroit) et on
devisait. Elle attendait son chauffeur. Quand on m’a dit qu’elle était morte
mercredi, je n’en revenais pas. Je ne pouvais plus travailler. Elle est partie…»
Il pleure, puis chuchote : «C’est inimaginable !» La voix se casse.
Il ne peut plus continuer. Il baisse les yeux. L’émotion est forte. Et ses
larmes perlent…
«Rama ne verra jamais le cadeau de son papa»
Guédiawaye, Golf Nord 2. Après quelques détours dans les
ruelles sablonneuses, nous voici devant une maison à deux étages. C’est ici que
Rama quittait chaque matin pour se rendre à son école. Le garage de la maison
est transformé pour la circonstance en une mosquée. Les nattes sont étalées. A
notre arrivée, le père de Rama était plongé dans ses prières. Il est
imperturbable. «Quand il commence son «wird», il met beaucoup de temps avant de
terminer», nous souffle un jeune trouvé à l’entrée de la maison.
Dedans, la demeure
est noire de monde. Emmitouflées dans de grands boubous, foulards sur la tête,
les femmes jettent un regard furtif sur les visiteurs. Deux femmes couvertes
d’un voile blanc s’avancent, la mine triste. «La maman de Rama s’excuse, elle dit
qu’elle ne peut pas parler», souffle Fatimata Hanne, une cousine de Rama,
apprendrons-nous plus tard. A la place de la mère de la défunte, c’est sa tante
et homonyme qui s’efforce de dire quelques mots sur sa nièce : « Je
m’appelle Ramata Diop. Je suis sa tante et son homonyme. Rama était une fille
exemplaire, bien éduquée.» Elle poursuit : «Le jour de son décès, son père
avait acheté un cadeau pour elle, pour l’encourager dans ses études. Parce
qu’il disait qu’elle se donne trop de peine dans ses études. Il avait acheté
des tissus pour elle. Il voulait lui faire la surprise à son retour de l’école.
Malheureusement, elle ne verra jamais
le cadeau.» Des larmes s’échappent de ses yeux. Après quelques sanglots,
elle reprend : «C’est aux environs de 13 heures qu’on a appelé un membre
de la famille pour annoncer la mauvaise nouvelle. Celui-ci ne pouvait pas en
parler à la mère de Rama. Ils ont pris un taxi pour se rendre à l’école. A leur
arrivée, un responsable de l’école a tenté de rassurer la maman. En lui disant que
rien de grave n’était arrivé à Rama, qu’elle s’était juste évanouie. Il lui dit
aussi que Rama a maintenant retrouvé ses esprits, qu’elle est à l’hôpital. Sa
maman lui dit qu’elle sait qu’on lui cache la vérité, parce qu’un camion ne
peut pas passer sur une personne et que celle-ci survive. Ce n’est qu’à
l’arrivée de son père qu’on a annoncé la nouvelle de la mort de sa fille.» Elle
s’excuse et s’éclipse. Elle ne trouve plus les mots pour relater la tragédie. Dickel
Fall, qui se présente comme la grand-mère de Rama, prend le relais :
« Elle était ma petite-fille adorée. Elle était très posée, calme. Dieu a
décidé que c’est de cette manière qu’elle allait mourir. Son père a dit qu’il
est fier de sa fille. Et, il a espoir qu’elle sera au paradis. C’est une
épreuve que nous devons accepter dans la foi ». Pour sa part, Fatimata
Hanne, cousine de Rama, garde de la défunte le souvenir d’une fille «gentille,
ouverte et très généreuse. La dernière fois que j’ai passé la journée ici, en
rentrant, elle a tenu à me raccompagner jusque dans la voiture. Quand je lui ai
dit de s’arrêter à la porte, elle n’a pas voulu. On dirait qu’elle me disait
adieu. Elle était d’une grande piété. Une fille qui était très aimable. La
preuve, ses innombrables amis défilent à la maison venir présenter leurs
condoléances.»
Les deux anges de Machallah au paradis d’Allah
Le papa de Rama a
fini son «wird». La cinquantaine. Mamadou Souleymane Dramé, habillé d’un boubou
blanc, le téléphone collé à l’oreille, remercie des personnes qui apparemment
lui présentaient leurs condoléances à l’autre bout du fil.
C’est un homme d’une
grande foi qui accueille. La mort de sa fille, il n’en fait pas une fin du
monde. Fataliste, il l’est : « Je remercie le bon Dieu (Il le répète
à trois reprises). C’est une épreuve que Dieu nous a fait subir, il faut que
nous l’acceptions. Ce qui nous arrive, c’est la volonté de Dieu. Même si Rama
était restée dans sa chambre, Dieu avait décidé qu’elle devait mourir ce
jour-là. Même si le camion devait la trouver dans sa chambre pour la tuer, ça
allait survenir.» Que retient-il de sa fille partie dans des conditions
atroces ? « Ce n’est pas parce que c’est ma fille, mais je vous jure,
qu’elle était une fille très pieuse. Une fille sans histoire. Très adorable.
Personne n’est jamais venue me voir pour faire une remarque négative à son
encontre. Je prie Dieu pour qu’Il les accueille (Rama et Pape Cheikh) dans son
paradis éternel.»
Hlm Grand-Yoff. Juste en face du Cices de Dakar. Au
premier étage d’un immeuble jaune vit la famille de Pape Cheikh Sall. Ici, la
douleur encore trop vivace a sévèrement anéanti la maisonnée. Personne n’y a la
force de commenter l’incroyable catastrophe. La sœur de Pape Cheikh Sall
s’avance, ses mots sont éplorés : «Notre maman est encore sous le choc.
Elle ne peut pas parler. Elle est effondrée. Chaque fois qu’elle revoit les
images à la télé, c’est comme si c’était
la fin du monde.» Pape Cheikh lui a été arraché par un chauffard et depuis sa
vie a basculé dans une souffrance indicible. «Revenez un autre jour, peut-être
qu’elle trouvera la force de vous parler», murmure sa fille. Un autre jour,
quand le temps aura dans sa marche inexorable atténué la douleur. Sans jamais
pousser dans les frontières de l’oubli Pape Cheikh et Rama, ces deux anges de
Machallah que parents et amis imaginent au Paradis d’Allah.
HAROUNA FALL
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