.«Cette
distinction est la preuve que ma machine a eu des effets sur le processus
de développement de l’Afrique”
.“Avant que je
n’invente cette machine, le fonio était considéré comme une céréale perdue”
.“Il n’y a aucun peuple
qui ne soit doté de genie créateur”
Sanoussi Diakité est professeur inventeur de la décortiqueuse de
fonio qui a révolutionné le monde de la recherche technologique africaine.
Cette machine qu’il a mise au point lui a valu d’être retenu parmi les dix
finalistes du Prix de l’innovation africiane, auquel plus de 900 candidats de
45 pays africains avaient postulé. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il
revient sur ses travaux de recherches, le sens et la portée de cette
distinction. Il parle également de l’impact de cette trouvaille sur les
populations africaines et les enjeux dans la stratégie de croissance et le
développement de l’Afrique.
Présentez-vous à nos lecteurs.
Je suis professeur
inventeur, directeur général de l’office national de la formation
professionnelle. Je suis professeur en sciences et techniques de fabrication
mécanique, c'est-à-dire le génie mécanique, également chercheur en équipement
agro-alimentaire et j’officie à l’Institut de technologie alimentaire. Je viens
de Kolda dans le sud du Sénégal, dans la Casamance. J’ai fait mes études
primaires à Kolda. Mes cycles moyen et secondaire, ainsi que mes études supérieures,
à Dakar.
Vous faites partie des 10 finalistes du Prix de
l’innovation africaine, qui sera décerné le 07 mai prochain en Afrique du Sud,
est-ce que vous pouvez nous expliquez le
processus qui vous a conduit à cette distinction ?
Ce prix concerne une machine
que j’ai mise au point. C’est la machine à décortiquer le fonio. Qui est une
innovation. Je suis très heureux de cette distinction. C’est une distinction
qui a été acquise sur 900 candidats de 45 pays d’Afrique. Je me sens honoré.
C’est une reconnaissance du travail réalisé, mais c’est aussi la preuve que la
machine est une innovation qui a un
effet sur le processus de développement en Afrique, sur le processus de
croissance, sur la création de richesses. C’est l’ensemble de ces éléments qui
apparaissent à travers cette sélection. Je ne peux qu’être fier d’avoir été à
l’origine d’une telle contribution à l’essor de mon continent. En définitive,
ce qui est à retenir, c’est la contribution à la mise en place de solutions
pour développer l’Afrique. Ma machine est une de ces solutions.
Quelles sont les fonctionnalités de cette
machine ?
La machine a résolu un
problème. C’est le problème de la transformation du fonio. Qui est une céréale
africaine que nous avons tout intérêt à développer. Puisque ça renferme des
atouts énormes. Le problème était le décorticage. Ma machine a résolu ce
problème. Elle a fait ses preuves sur le terrain. Elle est présente sur 8 pays
d’Afrique. L’enjeu de cette machine : à la main, il faut 2 heures de temps pour
décortiquer 2,5 kilogrammes. Les machines existantes qui traitent les céréales
se sont révélées inefficaces pour le fonio à cause de sa finesse. Parce qu’on
compte jusqu’à 2500 grains par gramme de fonio. Le fait qu’il n’y ait pas de
solutions jusque là et que les machines existantes n’aient pas été efficaces,
cela a créé une contrainte au développement du fonio. De sorte que des gens ont
même abandonné la culture du fonio. Quand bien même, ils savent que c’est bien,
mais ils l’ont abandonné, parce que c’est dur. J’ai inventé cette machine. Elle
décortique 5 Kilos en 8 minutes et proprement en un seul passage. Ce qui est
bien, c’est qu’une technologie doit
montrer dans le temps son efficacité. Ce n’est pas en un point seulement, en une
période, en un moment que la technologie doit montrer son efficacité. Elle doit
le faire dans le temps et dans l’espace. C’est ce que ma machine a prouvé.
Cette distinction, c’est cela sa signification. La machine a montré ses preuves
dans le temps et dans l’espace.
Combien de temps de recherches cela vous a-t-il pris
pour mettre au point cette machine ?
Cette machine existe au Sénégal depuis longtemps. Cela
m’a pris environ trois années de recherches. Mais une technologie a pour
vocation d’évoluer. Prenez n’importe quel produit technologique, cela évolue
dans le temps tout en conservant le principe. Parce que ça doit être corrélé à
la perception de la communauté qui l’utilise. Cela évolue avec les manières de
percevoir, cela évolue aussi avec les nouveaux outils ou les nouveaux matériaux
qu’on découvre. Je prends l’exemple de l’électrophone, lorsqu’on inventait cela
il n’y avait pas des composantes électroniques. Dès lors que ces composantes
ont existé, les fonctions qui sont à l’intérieur de ces composantes
électroniques ont été utilisées dans le principe de l’électrophone. Cela a
évolué. L’ancêtre du lecteur Dvd, c’est l’électrophone. C’est comme ça une
technologique. Cela n’arrête pas d’évoluer. Il ne faut pas dire qu’on a terminé
de réfléchir sur une technologie. Ca continue toujours. Ce qui est important,
c’est d’être en phase avec les besoins. Ce sont les besoins, l’aspiration et la
demande qui doivent commander la solution. Puisqu’on n’invente pas pour soi, on
invente parce qu’il y a un besoin, une
nécessité. On dit que nécessité est mère d’invention. Il est très important de
le savoir.
Quel est l’impact de cette machine sur le vécu des
populations sénégalaises et africaines ?
Cela a radicalement
changé les choses. Radicalement. L’allègement des travaux des femmes. Quand une
femme est capable de dire : je vais préparer du fonio pour le dîner et d’attendre jusqu’à 18 heures pour commencer à
travailler, c’était impensable il y a quelques années. Il fallait pour préparer
le fonio pour le dîner, commencer le travail trois jours avant. Maintenant
on peut se lever une heure avant, pour décortiquer et préparer. Cela a changé
aussi la situation de cette céréale. Cela l’a mise sous les projecteurs. On a
vu tout l’intérêt qu’il y a. Grâce à cette machine, des spécialistes dans
d’autres domaines se sont intéressés à la céréale. Les nutritionnistes. Il y a
un chercheur à l’Ita du nom de Djibril Traoré, qui a fait son PHD sur le fonio
et qui a démontré que le fonio était bon pour les diabétiques. Il a découvert
des choses extraordinaires sur le fonio. Les agronomes se sont aussi intéressés au fonio ; des
techniques culturales ont été mises au point. Alors qu’avant, le fonio ne
présentait aucun intérêt pour qui ce soit. Parce qu’on considérait que c’était
marginal. Mais maintenant, la culture du fonio a repris. La machine a joué un
rôle dans cela. L’impact final, c’est le repositionnement du fonio dans les
stratégies alimentaires dans nos pays. Le fonio va s’installer comme une
alternative crédible pour l’alimentation de nos populations. L’élément catalyseur
c’est la machine que j’ai mise au point. Parce que c’est cela qui a permis aux
gens de dire qu’ils peuvent se relancer dans la culture du fonio.
Grâce à cette machine, le fonio peut apporter des
réponses concrètes à la crise alimentaire qui frappent les pays du Sahel ?
Absolument. Le fonio
est une céréale qui n’a pas besoin de beaucoup d’eau pour pousser. Le fonio
pousse sur des sols pauvres. Quand on y sème le fonio, il pousse. C’est prouvé. Dans les sociétés
traditionnelles, ce sont les sols en fin de cycle qui sont utilisés pour semer
le fonio. Cela veut dire que dans les moments où il y a des changements
climatiques, où la sécheresse gagne du terrain, le fonio va se positionner
comme l’élément économique le plus rentable pour la culture vivrière. Cela va
demander moins d’investissements et moins d’aménagement. Cela produit plus de
résultats sur l’alimentation. Le kilo de fonio coûte
1400 F sur le marché ; l’autre impact, c’est qu’il y a de l’activité
économique sur le fonio. Combien d’unités de transformation se sont maintenant
mises dans la transformation et la commercialisation du fonio précuit. Je vous
donne l’exemple de Mme Aïssatou Aya Ndiaye à Kédougou, elle exporte des tonnes de
fonio précuit. La transformation a été rendue possible grâce à cette machine.
C’est la machine qui a créé de l’intérêt pour le fonio. C’est une céréale
africaine. Le maïs vient de l’Amérique latine, le riz vient de Mésopotamie, le
mil vient de l’Inde, mais le fonio vient de chez nous en Afrique. Ibn Batouta
en 1200 déjà, évoquait le fonio dans ces voyages. Le plat de fonio qu’il a
trouvé dans le Soudan. Le fonio est une céréale qui est considérée comme de
l’alicament. C'est-à-dire aliment et médicament à la fois. Parce que cela a des
vertus pour lutter contre le diabète. Les graisses constituent le premier
ennemi du diabétique. Quand on mange le fonio, il n’y a pas de stock de
graisse. Le Pr Djibril Traoré pourra expliquer tout l’intérêt nutritionnel qui
se trouve dans le fonio. Dans le traitement de certaines maladies, le fonio est
recommandé. Je vous recommande le livre du
Pr Kérharo, un professeur de botanique, qui a écrit sur le fonio. Il a
montré que le fonio est efficace pour lutter contre les météorismes intestinaux
et pour les traitements diurétiques. Tout cela a fait que le fonio est un
élément stratégique. Comme on parle de vin de Bordeaux, le fonio est de
l’Afrique de l’Ouest, qu’on va distribuer dans le monde. Cela va être un
élément caractéristique de notre zone. C’est tout cela que la machine aide à
mettre en place. L’émergence d’une filière. Ce n’est pas la machine qui est le
plus important, c’est le fonio qui est le plus important. Quand on regarde le
fonio, on regarde la société dans laquelle il est consommé. Ce sont 16 pays
africains qui consomment le fonio. Cela fait combien de consommateurs ?
Sans compter ce qui est à exporter. Combien de personnes peuvent se mettre dans
la transformation du fonio et gagner leur vie parce que la machine est
disponible. C’est cette transformation sociale qui est portée par cette
innovation sociale qu’est la machine. On a toujours besoin de prouver. On ne
nous fait aucun cadeau dans le monde scientifique et technique. On nous regarde
avec des préjugés défavorables. On doit montrer suffisamment de rigueur avec
nous-mêmes. Le combat de Cheikh Anta Diop pour amener les gens à comprendre et
à imposer au monde les connaissances universelles dont il était porteur, c’est
le même type de combat qu’il faut mener. Parce qu’on a vite dit: qu’est-ce que
l’Afrique a inventé ? Alors qu’il n’y a aucun peuple qui ne soit doté de
génie de créativité. C’est juste que dans le système international d’échanges,
il y a des groupes qui veulent imposer leur loi et assujettir les
Etats. C’est à nous de montrer que nous savons où nous allons et nous avons
suffisamment de force pour porter nos propres aspirations. Avant que je
n’invente cette machine, le fonio était considéré comme une céréale perdue. Il
fallait avoir un vécu pour comprendre qu’il a un enjeu social extraordinaire. Pour moi, avec ce prix, l’Afrique me
dit : «Sanoussi, vous avez raison de croire à cela depuis le début, vous
avez raison de croire que le fonio n’est pas une céréale perdue et de vous
investir à trouver une solution pour son émergence». Cela est important.
Croire en cela, c’est aussi croire au fait que la compréhension de nos enjeux
propres ne peut procéder que de notre processus propre.
Il y a combien d’unités qui ont été
reproduites ?
Il n’y a pas de
fabrication à grande échelle. Cela
demande de l’investissement. Ca va venir. Ce prix aide à la mise en relation
avec les investisseurs que cela peut intéresser. Il y a une centaine de
machines implantées à travers l’Afrique de l'Ouest. Le fonds national de
recherche agricole et agro-alimentaire du Sénégal a appuyé un projet de diffusion
de cette machine, une diffusion pilote qui s’est déroulée pendant deux années.
C’était juste pour regarder le niveau d’adoption par des critères et des
indicateurs préétablis, le niveau d’adoption par les communautés qui peuvent
utiliser cette machine. Les conclusions sont très positives. Il y a une seconde
phase de diffusion à grande échelle qui est prévue pour justement mettre à
disponibilité la machine ou les services de la machine. Dans certaines
localités, les gens ont parcouru des dizaines de kilomètres pour venir
bénéficier des services de cette machine.
Est-ce que les autorités sénégalaises sont informées
de cette distinction et quelles sont les mesures d’accompagnement prises ?
Je suis un
collaborateur du Président Macky Sall. Je lui ai fait une correspondance
officielle pour l’informer que j’ai été retenu parmi les dix de ce prix. Je
sais que c’est quelque chose qu’il va apprécier à sa juste valeur. Parce qu’il
est toujours attentif à l’action qui crée de l’émergence en Afrique. Cette
machine constitue une action. Agir pour créer de l’émergence en Afrique. Or ce
n’est pas du verbiage ni une vue de l’esprit. C’est quelque chose qui pose des
solutions au niveau des communautés. C’est aussi une approche, une démarche
dans la voie de ce qu’il souhaite que le Sénégal soit dans la marche vers le
développement. Cette invention est une sorte de manifestation qui montre que la
confiance qu’il a placée en moi en me mettant à la tête de l’Office national de
la formation professionnel que cette distinction est un prolongement de cette
confiance. Je suis un homme d’action dans la voie qu’il a tracée pour le
développement du Sénégal.
Vous êtes alors l’homme qu’il faut à la place qu’il
faut ?
Je me bats. J’ai
toujours cru en moi. J’applique suffisamment de rigueur sur moi-même, je ne me
pardonne rien du tout, aucune faiblesse. Je pense que pour pouvoir être
performant il faut être exigent avec soi-même.
HAROUNA FALL
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