mercredi 19 juin 2013

ENQUETE: FAIBLES SCORES/ POURQUOI LA GAUCHE SENEGALAISE N'A JAMAIS LA MAIN


 
La refondation de la Gauche historique. Le débat a été posé le 25 mai dernier par certains partis de gauche lors d’un panel organisé par le comité d’initiative « Refondation de la Gauche historique et la Fondation Rosa Luxembourg, dirigé par Mansour Aw et Djibril Gningue pour commémorer mai 68. Le constat aujourd’hui, comme il est indiqué dans le Manifeste de la Gauche historique Alternance 2014-2017, est que les formations politiques, qui hier se réclamaient de la Gauche historique : Parti de l’indépendance, (Pai Sénégal), le Parti communiste sénégalais (Pcs), le Mouvement de la Jeunesse Marxiste-léniniste, Mjml, le Parti de l’Indépendance et du travail Pit, la Ligue démocratique (Ld) Aj/Pads, Fernient, ont été des socles solides du mouvement patriotiques et démocratique et l’avant-garde de toutes les conquêtes politiques, démocratiques, sociale et culturelles que le Sénégal a connues. Malgré leur forte influence et implication dans les décisions qui touchent le pays, ces partis de Gauche n’ont jamais pu dépasser la barre des 2% aux différentes élections présidentielles auxquelles ils ont participé. Qu’est-ce qui fait que ces partis dirigés par des leaders charismatiques comme Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Mahmouth Diop au temps, peinent à mobiliser les foules et faire adhérer le maximum de sénégalais à leur cause. Pour trouver des réponses à cette question, l’Observateur dans ce dossier, a donné la parole à certains responsables des partis de gauche. Qui expliquent les raisons des échecs répétés de leur formation politique, leur avenir et les possibilités de retrouvailles.

 

 

 

Partis -5%. Amath Dansokho, Abdoulaye Bathily, Landing Savané. Des noms qui reviennent toujours dans l’histoire des élections au Sénégal. Candidats ou initiateurs de pôles ou de coalitions, ces leaders de partis de Gauche ont marqué l’histoire politique du Sénégal par autant par la pertinence de leurs idées et stratégies politiques que par leur capacité de nuisance. Mais ces partis et ce qui reste de leurs leaders sont devenus de «patentés faiseurs de Présidents» qui évoluent dans la périphérie du pouvoir (Amath Dansokho et Abdoulaye Bathily, tous les deux ont contribué de façon remarquable à l’élection de Macky Sall comme président, mais ils sont toujours à la périphérie du pouvoir comme se simples ministres conseillers du président). Jamais satisfaits (échec connu sous les « gouvernements de Majorité Présidentielle Elargie » de l’ère Diouf et sous les gouvernements de Wade de 2000 à 2011, pourquoi ces partis n’ont jamais pu dépasser le cap des 2% aux différentes élections présidentielles. Une question que l’actuel secrétaire général du Pit, Maguette Thiam, trouve « importante ». Parce que dit-il, la plupart des partis de Gauche comme le leur, ont choisi d’aller aux élections, de conquérir le pouvoir par la voie démocratique. Mais la réalité est que dans tout ce qu’il y a eu comme élection aux dernières périodes, le score des différents protagonistes des partis de gauche, et si on s’en tient à la dernière élection présidentielle et législative, les forces de Gauche, n’auraient peut être pas de score extraordinaire. Mais, M. Thiam, estime que cela n’est pas la base d’observation la plus juste. En effet, explique-t-il, « beaucoup de gens ne l’ignorent pas, des secteurs de l’opinion insistent pour que nous allions sous notre propre bannière aux élections et il est évident que si nous le faisons, beaucoup de secteurs qui veulent s’exprimer en choisissant de soutenir la Gauche pourront se mobiliser, je ne dis pas seulement voter pour nous, mais faire mobiliser pour voter pour nous ». Pour le secrétaire général d’Aj/Pads, Mamadou Diop Decroix, le faible score des partis de Gauche, est lié à  l’histoire même de la Gauche. A en croire, Mamadou Diop Decroix, c’est le mépris de l’argent. Quand ils étaient jeunes, dit-il, ceux qui avaient de gros salaires avaient honte de le dire. Les préfèrent ne pas être riches. Les gens qui étaient très à l’aise, ils rasaient les murs. Même dans le système de cotisation dans la clandestinité, explique Decroix, il y avait un niveau de revenus quand les gens l’avaient, on prenait systématiquement tout ce qui est dessus. Parce qu’on considérait que l’argent embourgeoisait les gens. C’est pourquoi, soutient-il, c’est le rapport avec l’argent qui explique ces faibles scores de la Gauche. « L’argent, c’est le nerf de la guerre. Si vous n’avez pas d’argent, vous ne pouvez pas sillonner le pays. Le principal problème de la Gauche a été de ne pas avoir l’idée de rassembler les moyens matériels et financiers nécessaires à ses ambitions pour le pays. Une position partagée par Ousmane Badiane, le chargé des élections de la Ld. Pour M. Badiane, la première raison c’est que les partis de Gauche sont toujours marqués par l’esprit de clandestinité. Cet esprit de clandestinité fait qu’ils ont des formes d’organisations qui ne s’adaptent à une démarche ouverte. Alors que la prise du pouvoir ne peut se faire que par la voie des urnes. Ce qui suppose qu’il faut une stratégie qui puisse assoir une ligne de marque large et ouverte. Beaucoup de partis, dit-il, souffrent de cet héritage de la clandestinité. La deuxième raison est liée à l’éparpillement des partis de Gauche. Ce qui n’est pas de nature à favoriser une mutualisation des forces de la Gauche et des forts rassemblements de Gauche capables d’impulser une dynamique au niveau du processus électoral. Les partis de Gauche pris individuellement, indique M. Badiane, ont des leaders charismatiques, une ligne programmatique très claire, un projet de société très cohérent. Tous mettent en avant un certain nombre de valeurs de solidarité de bonne gouvernance et d’intérêt national de justice sociale. Mais les formes d’organisations et de dynamique qu’ils devaient enclencher pour constituer des pôles très puissants quand il y a des échéances majeures avoir un candidat en face des autres, font défaut. A l’approche des scrutins présidentiels, les partis de Gauche, préfèrent soutenir d’autres partis. La troisième raison est liée, selon M. Badiane, aux moyens. De plus en plus avec l’évolution politique dans le pays l’argent joue un rôle important pendant la campagne électorale. Le parti libéral a un trésor de guerre. Avec la situation de pauvreté, l’argent joue un rôle important. Les partis de gauche ne sont pas gâtés sur ce point.  Au niveau international, poursuit-il, les moyens sont avec l’ancienne puissance coloniale. Qui préfère financer les partis qui ne sont pas de la Gauche, qui ont un sens élevé de l’intérêt national. Mbaye Diack, le président de l’Ufpe pour sa part, met aussi les faibles scores des partis de la Gauche dans le compte de leur éparpillement. C’est la raison pour laquelle aucun parti de la Gauche n’a pu dépasser 2% réellement dans les élections.  Cet éparpillement de la Gauche a fait qu’il n’y a pas de parti de gauche suffisamment représentatif. Le secrétaire général du Msu, Massène a une explication tout autre. « Au Sénégal quand on parle de Gauche, on pense aux communistes, puisque nous sommes dans un pays à majorité musulmane, quand on parle de communistes on dit qu’ils ne croient pas en Dieu. 

Avenir de la Gauche sénégalaise. Quel avenir pour ces partis de Gauche ? A cette question, les réponses divergent. Massène Niang pense quelle a un avenir. Mais c’est à une condition.  « Oui, la Gauche a de l’avenir. Mais à condition que les gens fassent leur auto critique » dit-il. Pour le patron du Msu, les partis de Gauche ont fait plus de 20 ans, cela n’a pas marché. Il faut qu’ils se mettent autour de la table, réfléchissent sur de meilleures orientations de la Gauche. « Et compte tenu de la sociopolitique du pays, où si le khalife général des mourides demande à ses talibés de ne pas voter un parti d’obédience anti-islamique, vous n’aurez rien. Parce que les gens ne sont pas aussi émancipés que cela au Sénégal » analyse Massène Niang. Pour Mbaye Diack, on ne peut pas dire que les partis de Gauche n’ont pas d’avenir devant eux. Leur avenir dépend selon lui de la nouvelle génération. Il faudrait, soutient-il, qu’elle prenne conscience de la nécessité de discuter franchement et de constituer un véritable pôle de Gauche. « En 2000, on a créé un pôle qui a abouti à la création de la Ca 2000. Mais dès l’alternance est arrivée chacun est allé de son côté. Chacun est allé négocier avec Me Abdoulaye Wade et Idrissa Seck. Il y a même eu des rivalités internes entre les éléments du pôle de Gauche de la Ca 2000. Il faut que les jeunes en prennent conscience » conseille M. Diack. Cependant, M. Diack voit dans le fait que l’idéologie n’est pas développée au niveau des jeunes générations, le que les gens ne lisent plus, qu’il n’y a plus d’école de partis, qu’on ne discute pas de programme réel, qu’on ne discute plus des différents programmes politiques qui existent à travers le monde, un véritable handicap qui pourrait compromettre l’avenir des partis de Gauche. Du côté du Pit, l’heure est l’ouverture. « Nous sommes très ouverts au niveau du Pit à créer des conditions à être ensemble » soutient Maguette Thiam. Au niveau de Aj, l’avenir de la Gauche, réside selon Mamadou Diop Decroix, à continuer à croire à des idéaux. « Je pense que la situation dans le monde globalement considéré aujourd’hui et la situation du Sénégal d’aujourd’hui, montre clairement que les idées et les idéaux de la Gauche sont plus actuels que par le passé. Même ce débat sur les valeurs, on parle aujourd’hui de crise de valeurs, de crise de repères, le cri de ralliement des peuples aujourd’hui, c’est autour des valeurs. Cela a été toujours la recherche de la Gauche. Elle n’avait pas d’argent, mais avait ses valeurs, c’était cela sa richesse. Il faut travailler à accroître son influence et sa présence, mais autour justement de ce socle de valeurs et de la vision » indique Mamadou Diop Decroix. Si la Gauche ne s’occupe pas de cela, ce sera très difficile de conquérir le pouvoir pas dans le sens de distribuer de l’argent de gauche à droite, mais des moyens financiers pour faire son travail.

Retrouvaille de la Gauche ? Pour ce qui est des retrouvailles des partis de la Gauche, Ousmane Badiane, pense que c’est possible. Mais à condition, dit-il, « qu’on fasse le bilan de son action soit fait et qu’on surmonte les rancœurs pour l’intérêt la Gauche ». Pour Mamadou Diop Decroix, tant que la Gauche ne règle pas ses problèmes, tant qu’elle ne partage pas une vision avec le peuple, tant qu’elle n’est pas ancrée de plus que par le passé autour de socle de valeurs et de repères et avoir le nerf de la guerre, on aura beau parler, peut être qu’on accroitra l’influence dans les décisions du gouvernement, mais on ne se retrouvera pas pour aspirer à conquérir le pouvoir en tant que Gauche. Toute retrouvaille de la Gauche, semble utopique selon Mbaye Diack. « C’est utopique. Il y a des divergences entre ces différents partis et au niveau de leurs leaders. Je ne pense qu’il soit facile de reconstituer la Gauche » soutient-il. Cependant, précise-t-il, « ne perdons pas espoir. Parce qu’il y a les générations qui se renouvellent petit à petit. Peut être que le subjectivisme qui a caractérisé certains leaders, qui empêche que les gens se parlent franchement, pour que les gens se retrouvent, les nouvelles générations parviendront à lever cela ». La recette de Massène Niang, pour des retrouvailles réside dans une approche participative. Il faut s’orienter vers les instruments de développement social et de solidarité comme les coopératives, les mutuelles essayer d’impliquer toutes les populations dans l’élaboration de stratégies de développement. « Si nous faisons dans le radicalisme, on n’aura rien » prévient-il.

 

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