mercredi 10 avril 2013

ENTRETIEN AVEC BABACAR JUSTIN NDIAYE POLITOLOGUE: « On ne peut pas mettre la charte de la CEDEAO en pièces détachées »


Le journaliste Politologue, Babacar Justin Ndiaye, analyse dans cet entretien la sortie du président de Rewmi, Idrissa Seck sur l’an I de Macky Sall au pouvoir et l’arrêt de la Cour de la Cedeao sur la liberté de circulation des responsables libéraux cités dans l’affaire des biens mal acquis.

 
Le Président de Rewmi Idrissa Seck a fait une sortie bruyante sur l’An 1 de Macky Sall. Quels commentaires en faites-vous ?

Il n’y a rien d’insolite ou d’anormal à mes yeux dans les critiques, les conseils et les analyses exprimés à haute voix, par  Idrissa Seck. Le bruit, la controverse et le duel des opinions sont consubstantiels à la vie démocratique d’un pays. Rien ne m’émeut ; rien ne m’impressionne dans tout cela. Pour deux raisons. Premièrement, le Sénégal n’est politiquement ni une dictature ni une tyrannie. Donc ses habitants ne seront jamais abonnés au mutisme, encore moins à la résignation. Deuxièmement Idrissa Seck est un homme politique qui porte en bandoulière, c’est-à-dire sans aucun camouflage, son ambition pour la plus haute station du pays. D’où son regard constamment rivé sur la conjoncture et sa quête perpétuelle d’un contexte opportun, c’est-à-dire d’une faille pouvant lui servir de rampe de lancement vers les orbites les plus hautes.  Or la conjoncture lui semble stratégiquement porteuse voire prometteuse. Observons ensemble : La majorité a absorbé toutes forces significatives à l’exception du PDS éprouvé par une traque qui ressemble à une chasse à courre. C’est là un consensus parfaitement stabilisateur mais fâcheusement soporifique. D’autant que la Société civile censée servir de contrepoids s’est liquéfiée avec ses figures de proue – suivez mon regard – qui sont allées à la soupe. Eh bien, face au désert et face aux populations orphelines de défenseurs, mais recrues de frustrations et d’insatisfactions, le renard Idrissa Seck s’est démarqué avec bruit et brio, pour capter les dividendes nés des interrogations et des doutes croissants.
Lors de cette interview-marathon, Idrissa Seck a versé de chaudes larmes. Comment analysez-vous cela ?

Devrai-je psychanalyser peut-être ? Rires…A mes yeux, le maire de Thiès a commis un impair politiquement dévastateur. Quelque part, il s’est auto-démoli, lui qui a passé 7 mois en prison, sans gémir, sans chercher une intermédiation auprès des marabouts, encore moins capituler devant Wade, jusqu’au non-lieu rendu par la commission d’instruction de la Haute Cour de justice. Par ailleurs, l’homme politique et l’homme d’Etat sont prédestinés à s’accommoder de la tempête et de l’orage. D’où l’image du chef doté de carrure, de cran et de trempe qui doit s’afficher en tout temps et en tout lieu. L’homme politique peut évoquer en public, « les larmes, la sueur et le sang » comme l’avait fait Winston Churchill sous les bombes allemandes. Mais ne jamais les verser devant les caméras…
Après les critiques du Président de Rewmi, certains responsables de l’APR ont préconisé l’éviction des ministres issus de cette formation. Est-ce la meilleure réponse ?

Permettez-moi d’égrener un chapelet d’évidences. D’abord, les ministres sont les ministres de la République. A ce titre, ils ne doivent être ni les obligés de Idrissa Seck ni les affidés de Macky Sall : ils restent les féaux serviteurs de la République. Voilà l’orthodoxie à sauvegarder. Ensuite, l’intelligence politique décommande de combattre le micro par le décret. Les limogeages intempestifs sont une marque de carence politique. Chez Macky, les micros et les plumes ne manquent pas. Enfin, dans une telle partie de poker, le chef de l’Etat peut jouer la carte de l’usure, en maintenant les ministres de la Pêche et de l’Hydraulique dans une posture inconfortable, c’est-à-dire un écartèlement entre la fidélité partisane politiquement glorieuse et la solidarité gouvernementale financièrement payante. Macky Sall peut pousser le cynisme jusqu’à les féliciter publiquement à l’issue d’un Conseil des ministres. Toute autre attitude serait bête et contre-productive.  
Comment voyez-vous l’avenir de la coalition BBY ?

Son destin sera celui de toute coalition politique. Les coalitions ne sont ni des blocs monolithiques ni des blocs granitiques. Et ce n’est pas le géologue Macky Sall qui me démentira. La coalition BBY est un conglomérat de partis individuellement souverains qui connaitra incessamment son heure de vérité. Les partis politiques ne sont pas des ordres religieux. Bref la vie politique n’étant pas un long fleuve tranquille, la longévité de BBY est tributaire des échéances clairement mentionnées dans le calendrier électoral ; et des agendas cachés qui sont précisément cachés mais devinés.

L’Etat du Sénégal refuse toujours de respecter l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO sur la liberté de circulation des dirigeants libéraux cités dans l’affaire des biens supposés mal acquis. Que dire de cette attitude des autorités de Dakar ?

L’attitude du gouvernement est intelligible mais indéfendable. Le Sénégal a souverainement ratifié la charte de la CEDEAO. Donc il doit en accepter les servitudes et les avantages qui concourent à rendre effective l’intégration sous-régionale. Ceux qui ont la mémoire impeccable se rappellent du Plan de Lagos (1979-1980), plus avant-gardiste et plus ancien que le Nepad dont le « volet Infrastructures » est fièrement piloté par le Président Macky Sall. Même s’il existe une marge d’interprétations juridiquement fluctuantes, le Sénégal doit se comporter comme la locomotive rageuse et non la poussive draisine de l’intégration. Et dans tout ce tumulte, on en arrive à oublier que la Constitution de notre pays prévoit, dans un paragraphe limpide, l’abandon libre d’une parcelle de sa souveraineté au profit de l’Union Africaine. A cet égard, je suis gêné d’entendre notre ministre de la Justice, parler « d’injonctions de la CEDEAO ». Il y a des propos qu’un mousquetaire de l’APR comme Abdou Mbow peut tenir sans retour de flammes. En revanche, le mot d’un membre du gouvernement peut hypothéquer l’avenir. Au demeurant, on ne peut pas envoyer des troupes au Mali, sous l’égide de la CEDEAO, et récuser allègrement une décision de la même organisation. Autrement dit, on ne peut pas mettre la charte de la CEDEAO en pièces détachées, en exécutant les recommandations militaires d’un côté, et en repoussant les arrêtés d’origine judiciaire,  de l’autre. « On peut tout soutenir, sauf l’inconséquence » disait Mirabeau. Dans une formulation triviale et abrupte, on peut dire que le gouvernement est plus enclin à accueillir des cercueils de Jambars en provenance de Gao qu’à perdre les traces de Karim Wade en fuite, quelque part dans un pays du Golfe. C’est kafkaïen.       

  Réalisé par Harouna Fall

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