Le
journaliste Politologue, Babacar Justin Ndiaye, analyse dans cet entretien la
sortie du président de Rewmi, Idrissa Seck sur l’an I de Macky Sall au pouvoir
et l’arrêt de la Cour de la Cedeao sur la liberté de circulation des
responsables libéraux cités dans l’affaire des biens mal acquis.
Il n’y a
rien d’insolite ou d’anormal à mes yeux dans les critiques, les conseils et les
analyses exprimés à haute voix, par Idrissa Seck. Le bruit, la controverse et le
duel des opinions sont consubstantiels à la vie démocratique d’un pays. Rien ne
m’émeut ; rien ne m’impressionne dans tout cela. Pour deux raisons.
Premièrement, le Sénégal n’est politiquement ni une dictature ni une tyrannie.
Donc ses habitants ne seront jamais abonnés au mutisme, encore moins à la
résignation. Deuxièmement Idrissa Seck est un homme politique qui porte en
bandoulière, c’est-à-dire sans aucun camouflage, son ambition pour la plus
haute station du pays. D’où son regard constamment rivé sur la conjoncture et
sa quête perpétuelle d’un contexte opportun, c’est-à-dire d’une faille pouvant
lui servir de rampe de lancement vers les orbites les plus hautes. Or la conjoncture lui semble stratégiquement
porteuse voire prometteuse. Observons ensemble : La majorité a absorbé
toutes forces significatives à l’exception du PDS éprouvé par une traque qui
ressemble à une chasse à courre. C’est là un consensus parfaitement
stabilisateur mais fâcheusement soporifique. D’autant que la Société civile
censée servir de contrepoids s’est liquéfiée avec ses figures de proue – suivez
mon regard – qui sont allées à la soupe. Eh bien, face au désert et face aux
populations orphelines de défenseurs, mais recrues de frustrations et
d’insatisfactions, le renard Idrissa Seck s’est démarqué avec bruit et brio,
pour capter les dividendes nés des interrogations et des doutes croissants.
Lors de cette interview-marathon,
Idrissa Seck a versé de chaudes larmes. Comment analysez-vous cela ?
Devrai-je
psychanalyser peut-être ? Rires…A mes yeux, le maire de Thiès a commis un
impair politiquement dévastateur. Quelque part, il s’est auto-démoli, lui qui a
passé 7 mois en prison, sans gémir, sans chercher une intermédiation auprès des
marabouts, encore moins capituler devant Wade, jusqu’au non-lieu rendu par la
commission d’instruction de la Haute Cour de justice. Par ailleurs, l’homme
politique et l’homme d’Etat sont prédestinés à s’accommoder de la tempête et de
l’orage. D’où l’image du chef doté de carrure, de cran et de trempe qui doit
s’afficher en tout temps et en tout lieu. L’homme politique peut évoquer en
public, « les larmes, la sueur et le sang » comme l’avait fait
Winston Churchill sous les bombes allemandes. Mais ne jamais les verser devant
les caméras…
Après les critiques du Président de
Rewmi, certains responsables de l’APR ont préconisé l’éviction des ministres
issus de cette formation. Est-ce la meilleure réponse ?
Permettez-moi
d’égrener un chapelet d’évidences. D’abord, les ministres sont les ministres de
la République. A ce titre, ils ne doivent être ni les obligés de Idrissa Seck
ni les affidés de Macky Sall : ils restent les féaux serviteurs de la
République. Voilà l’orthodoxie à sauvegarder. Ensuite, l’intelligence politique
décommande de combattre le micro par le décret. Les limogeages intempestifs
sont une marque de carence politique. Chez Macky, les micros et les plumes ne
manquent pas. Enfin, dans une telle partie de poker, le chef de l’Etat peut
jouer la carte de l’usure, en maintenant les ministres de la Pêche et de
l’Hydraulique dans une posture inconfortable, c’est-à-dire un écartèlement
entre la fidélité partisane politiquement glorieuse et la solidarité
gouvernementale financièrement payante. Macky Sall peut pousser le cynisme
jusqu’à les féliciter publiquement à l’issue d’un Conseil des ministres. Toute
autre attitude serait bête et contre-productive.
Comment voyez-vous l’avenir de la
coalition BBY ?
Son destin
sera celui de toute coalition politique. Les coalitions ne sont ni des blocs
monolithiques ni des blocs granitiques. Et ce n’est pas le géologue Macky Sall
qui me démentira. La coalition BBY est un conglomérat de partis
individuellement souverains qui connaitra incessamment son heure de vérité. Les
partis politiques ne sont pas des ordres religieux. Bref la vie politique
n’étant pas un long fleuve tranquille, la longévité de BBY est tributaire des
échéances clairement mentionnées dans le calendrier électoral ; et des
agendas cachés qui sont précisément cachés mais devinés.
L’Etat du Sénégal refuse toujours de
respecter l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO sur la liberté de
circulation des dirigeants libéraux cités dans l’affaire des biens supposés mal
acquis. Que dire de cette attitude des autorités de Dakar ?
L’attitude
du gouvernement est intelligible mais indéfendable. Le Sénégal a souverainement
ratifié la charte de la CEDEAO. Donc il doit en accepter les servitudes et les
avantages qui concourent à rendre effective l’intégration sous-régionale. Ceux
qui ont la mémoire impeccable se rappellent du Plan de Lagos (1979-1980), plus
avant-gardiste et plus ancien que le Nepad dont le « volet Infrastructures »
est fièrement piloté par le Président Macky Sall. Même s’il existe une marge
d’interprétations juridiquement fluctuantes, le Sénégal doit se comporter comme
la locomotive rageuse et non la poussive draisine de l’intégration. Et dans tout
ce tumulte, on en arrive à oublier que la Constitution de notre pays prévoit,
dans un paragraphe limpide, l’abandon libre d’une parcelle de sa souveraineté
au profit de l’Union Africaine. A cet égard, je suis gêné d’entendre notre
ministre de la Justice, parler « d’injonctions de la CEDEAO ». Il y a
des propos qu’un mousquetaire de l’APR comme Abdou Mbow peut tenir sans retour
de flammes. En revanche, le mot d’un membre du gouvernement peut hypothéquer
l’avenir. Au demeurant, on ne peut pas envoyer des troupes au Mali, sous
l’égide de la CEDEAO, et récuser allègrement une décision de la même organisation.
Autrement dit, on ne peut pas mettre la charte de la CEDEAO en pièces
détachées, en exécutant les recommandations militaires d’un côté, et en
repoussant les arrêtés d’origine judiciaire,
de l’autre. « On peut tout soutenir, sauf l’inconséquence »
disait Mirabeau. Dans une formulation triviale et abrupte, on peut dire que le
gouvernement est plus enclin à accueillir des cercueils de Jambars en
provenance de Gao qu’à perdre les traces de Karim Wade en fuite, quelque part
dans un pays du Golfe. C’est kafkaïen.
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