vendredi 27 juin 2014

Violence électorale- La démocratie sénégalaise grippée




« Avec les scènes de violence qui ont accompagné cette campagne électorale, cela montre que les hommes politiques ne faisaient pas de campagne électorale. Ils étaient en train de se déchirer. C’est nous (Kouthia et son équipe) qui avons fait leur campagne pour eux. De manière civilisée et dans la paix ». C’est ce que l’humoriste Kouthia m’a confié ce matin quand il est passé à la rédaction d’IGFM pour une visite de courtoisie.
L’homme était à la fois très sérieux et très triste quand il m’a tenu ces propos. Il y a de quoi être triste pour notre pays. Pour nos politiques.
La campagne électorale des élections locales du 29 Juin prend fin ce vendredi à minuit. Une campagne qui a suscité beaucoup de passions dans le pays.
Malgré les appels à une campagne « civilisée, apaisée et dans le calme lancé par les responsables des partis politiques », les deux semaines de campagne ont été émaillées par des scènes de violence jamais connues au Sénégal.
La bataille rangée entre les partisans de Diop Sy et Alioune Ndoye, tous deux candidats à la Mairie de Dakar Plateau. Les coups de feu à Keur Massar dans la première semaine de campagne.
Avant cela s’ajoute l’agression de trois journalistes  à Rufisque, notamment une consœur de Jokko FM, un journaliste de Echos2rues et le correspondant de Sénégal FM tous malmenés par les gros bras du maire sortant Badara Sène et candidat à sa propre succession le 16 juin dernier. A Grand Yoff, les partisans de Mme le Premier ministre, Aminata Touré et du maire de Dakar Khalifa Sall ne sont pas de cadeaux. Ils se regardent de faïence. Et certains responsables locaux n’ont pas pu résister à l’envie de « casser » du militant. Adama Faye, la tête de liste proportionnelle, pour ne pas le nommer, est descendu très bas en levant la main sur un jeune militant du camp de Khalifa Sall.
La fièvre de la violence s’est emparée des régions du pays. A Ziguinchor, Podor en passant par Thiès, partout les scènes de violence accompagnent les caravanes des candidats.
Le Sénégal qui se targue d’être une grande démocratique peine à respecter l’une des règles les plus élémentaires de la démocratie. La liberté d’expression. En cette période de campagne où chacun doit dire librement ce qu’il pense sans aucune crainte d’être attaqué, l’intolérance semble prendre le dessus sur la raison. Pour un « Non », la voie est ouverte à tous les coups…de poing.
En lieu et place d’une bataille des idées.  Une confrontation des programmes et projets de société. A la place de discours de campagne, on assiste à des piques et autres invectives entre les différents candidats. Incitant ainsi leurs partisans respectifs  à des affrontements parfois sanglants.
Certes le Sénégal est jusque-là un modèle de démocratie en Afrique, mais avec cette spirale de violence, notre pays est passe de devenir une jungle politique. Où tous les coups sont permis. Où les enquêtes sur les cas de violence finissent toujours dans les tiroirs. L’affaire Moustapha Cissé Lô est un exemple parmi tant d’autres.
Aujourd’hui, ma petite expérience de journaliste politique, qui a eu à couvrir des élections présidentielles (aux USA, en France et en Afrique) dont la plus récente est les élections présidentielles dans deux pays voisins (La Guinée Bissau du 13 avril 2014 et la Mauritanie du 21 juin 2014) considérés abusivement par la plupart des sénégalais comme des pays pas sûrs, à cause de passé putchiste, me permet de dire aujourd’hui avec ce qui se passe durant cette campagne électorale, que le Sénégal est sur une pente descendante. Dans ces pays voisins, je me sentais plus en sécurité dans l’exercice de mon métier durant la campagne électorale qu’au Sénégal. Où la présidentielle de 2012 et les Locales de 2014 ont fini d’inscrire le nom du Sénégal dans le concert des nations où la violence électorale est devenue un principe et la paix une exception.
A Bissau, où je me suis rendu aussi bien au premier comme au second tour de l’élection présidentielle, on a assisté à l’une des campagnes électorales les plus civilisées de la sous région. Malgré la tension qui était perceptible avec la présence de la Force de la CEDEAO en Guinée-Bissau (ECOMIB) avec 850 hommes, les militants des différents candidats ont fait preuve de grandeur et de courtoisie, de fair-play avant, pendant et après la campagne électorale.
L’heure était plus à la fête qu’à des affrontements sanglants. Bissau pendant la campagne électorale, cela vaut le déplacement. C’est un véritable Carnaval, qui n’a rien à envier à celui de Rio. Avec tout ce que cela comporte comme sons, lumières et couleurs.
A Bissau, les deux  candidats au second tour (Nuno Nambian et José Mario Vaz) ont organisé à quelques mètres d’intervalles leurs meetings de clôture sans qu’ils ne se lancent des piques acerbes ou sans que leurs militants n’en viennent aux mains. Tout s’est passé dans la plus grande fraternité et la plus grande courtoisie.
Aussi un fait remarquable dans ce pays. L’ombrage des manguiers sert de bureaux de vote dans la plupart les électeurs dans certains endroits. L’urne est posée en plein air sans que des militants d’un candidat ou d’un autre tente de venir saboter le vote. Un gage de transparence où l’idée de bourrer les urnes ne peut vous frôler l’esprit.
Au Sénégal, qui peut imaginer poser un bureau de vite sous l’arbre à palabre à Grand Yoff, Pikine, Guédiawaye, sans que des nervis envoyés par candidats tapis dans l’ombre ne tentent de s’emparer des urnes, surtout quand ils savent que leur chance de gagner sont minimes.
A Dakar, qui peut dans ce contexte tendu de campagne électorale, voir Aminata Touré organiser son meeting à la Place de l’Obélisque et Khalifa Sall devant le Lycée Kennedy de Dakar sans qu’il n’y ait d’affrontements entre les deux camps.
A Nouakchott en Mauritanie également, un pays qui a connu plusieurs coups d’Etat, l’ambiance de la campagne électorale était plus paisible qu’au Sénégal. Aucun de cas de violence verbale encore moins physique n’a été noté.
Dieu sait que la configuration politique et les idées défendues par certains candidats comme (Ibrahima Moctar Sarr, président de l’Alliance pour la démocratie et la justice/Mouvement pour la rénovation (AJD/MR) à coloration négro-mauritanienne et Biram Ould Dah Ould Abeid, militant antiesclavagiste, également président de l’Initiative pour la résurgence abolitionniste (IRA-Mauritanie) issus de la communauté noire avec un discours basé sur l’exclavagisme face à un candidat issu de la communauté Maure de couleur blanche, Mohamed Ould Abdel Aziz) étaient sources de tensions. Mais tout s’est passé dans le calme et dans le respect mutuel. Les candidats ont privilégié l’argument des idées à celui de la force. A l’arrivée l’élection s’est déroulée dans le calme et dans la plus grande transparence.
Une scène qui m’a beaucoup marqué pendant cette campagne électorale. C’est celle de ce jeune militant de Birame Ould Dah Ould Abeid, seul dans l’océan des militants du candidat Aziz, aux alentours du stade Tarhil (Toujounine) à Nouakchottavec un poster de son leader et scandant à qui veut l’entendre « Birame, Birame ». La réplique toute trouvée par les partisans du candidat Aziz, qui pouvaient le « brouiller », a été : « vous êtes le seul ici à voter Birame » dans une ambiance on ne peut plus amicale.
Une avancée démocratique pour ce pays. Alors que chez nous au Sénégal, on continue toujours de regarder ces pays comme élèves de la démocratie. La réalité sur le terrain semble être tout autre.
Ce qui semble faire la force de la démocratie ascendante de ces pays à la « culture putschiste » (Guinée Bissau et la Mauritanie), ce sont les débats télévisés à « l’américaine » entre les candidats. Où pendant une heure ou deux, les candidats font un face à face avec un niveau très élevé des débats. Où les citoyens suivent et jugent de la pertinence et de la sincérité du discours de l’un ou l’autre candidat.
Au Sénégal, on se rappelle de la fameuse déclaration de Me Abdoulaye Wade , alors candidat de la CA 2000 à l’élection présidentielle de 200 : « Abdou Diouf nangoul def face à face ak man » (Abdou Diouf, ancien président du Sénégal, ne veut pas faire face à moi pour un débat télévisé). Il tenait ses propos dans la salle d’attente de la Radio Télévision Sénégalaise (RTS) après avoir fait le tour du pays. Depuis lors beaucoup d’eau a coulé sous les ponts de la démocratie sénégalaise. Mais il n’y a jamais eu de débat d’idées sérieux entre les différents candidats sur les programmes et projets de société.
Aminata Touré au début de la campagne, avait invité son challenger à Grand Yoff,  Khalifa Sall à un débat télévisé. Malheureusement le maire de Dakar, qui devait avoir des arguments assez solides pour faire face à Aminata Touré, a préféré esquiver… le débat. On aurait pu à travers ce type de débat, qui allait être une première dans les annales de l’histoire politique du Sénégal, avoir l’occasion d’apporter un plus  notre système démocratique.
Malheureusement, on a encore raté le coche. Au Sénégal on continue dans les invectives, les coups bas et les coups de poing. La démocratie sénégalaise est vraiment grippée. Il revient à la classe politique sénégalaise et  à la société civile de trouver les remèdes si on ne veut pas se retrouver en queue de peloton des pays démocratiques dans la sous région.
A bon entendeur… Aux électeurs de faire les bons choix le 29 juin prochain. Que les plus méritants gagnent. Bonne chance aux candidats.


Harouna FALL

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