C’est
fait ! L’Etat du Sénégal a sanctionné pour la première fois le commerce
illégal des espèces protégées. Le pays se lance ainsi dans la lutte contre ce
crime organisé transnational. Le mardi 20
mai 2014,
lors de deux opérations mixtes composées de la Division des investigations criminelles
(Dic), du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable et du Projet
SALF, deux trafiquants en possession de 388 objets d’ivoire d’éléphants ont été
arrêtés en flagrant délit. Les objets sont principalement des bijoux en ivoire.
Ce type
d’action est une première du genre au Sénégal et entre en droite ligne de la
mise en place d’une collaboration entre l’Etat et un Réseau de partenaires
internationaux spécialisés en la matière, le projet SALF (Sénégal-Application
de la Loi Faunique) et le réseau EAGLE (Eco-Activist for Governance and Law
Enforcement) qui opère dans de nombreux Etats africains.
Eloi
Sokoto SIAKOU, trafiquant de nationalité ivoirienne a été arrêté en flagrant
délit lors du premier raid en possession d’une grande quantité d’ivoire. Puis,
moins d’une heure plus tard, l’équipe mixte a été redéployée pour procéder à
l’interpellation d’un second trafiquant, Modou SARR, un des fournisseurs de
Siakou et propriétaire d’une partie des 388 objets d’ivoire saisis. Après
audition et mise en garde à vue, ils ont été déférés devant le Tribunal de
Dakar et mis sous mandant de dépôt en attendant leur jugement. La valeur des
produits saisis est d’environ 6 millions de francs CFA dans un système où le
kilogramme d’ivoire est vendu 2000 dollars sur le marché international.
Professionnels,
suspicieux et bien connecté à l’international, de la Côte d’Ivoire à la France
en passant par les USA, ils appartiennent
à des réseaux de dealeurs avérés dans ce commerce illégal d’espèces protégées.
L’investigation menée sur les activités de ces réseaux a permis de comprendre
les modes opératoires et leurs craintes des arrestations.
Les
éléphants sont intégralement protégés au Sénégal. La détention, la circulation et la vente de
trophées d’éléphant, sont interdites par
l’article L.32 du Code de la chasse et de la protection de la
faune loi n° 86-04 du 24 janvier 1986. Les contrevenants peuvent être punis de
peine allant jusqu’à 1 an de prison et d’une amende de 1.200.000 francs Cfa.
Le
Sénégal a également ratifié la Convention CITES dite « Convention de
Washington » en 1977 (Convention sur le commerce international des espèces
de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), une Convention des
Nations Unies qui réglemente et garantit que le commerce international des
espèces inscrites dans ses annexes, ainsi que les parties et produits qui en
sont issus, ne nuit pas à la conservation de la biodiversité et repose sur une
utilisation durable des espèces.
Il faut
saluer l’effort et l’action remarquable des autorités sénégalaises qui ont
contribué à la réussite de ces opérations. Ainsi, le Sénégal rejoint de nombreux
autres pays d’Afrique dans la lutte active contre ce crime et se met désormais
au rang des pays héroïques qui luttent pour sauver le patrimoine de l’Afrique.
Cette première
action a été fortement saluée et félicitée par la communauté internationale et
il faut espérer que les Gouvernements étrangers continuerons à appuyer le
Sénégal face à ce fléau.
Toutefois,
contrairement à ce que l’on attendait de la Justice Sénégalaise, le Tribunal
Départemental de Dakar a infligé le vendredi 30 mai 2014 une peine plutôt
faible. Ils ont été condamnés à trois mois d’emprisonnement dont un mois ferme
et au paiement de 500.000 FCFA.
Il est vrai que ce sont encore des délits mal connus par la
Justice sénégalaise, mais la clémence du Tribunal est d’autant plus surprenante
que l’article
L. 32 du Code de la chasse et de la protection de la faune prévoit des peines pouvant
aller jusqu’à 1 an de prison.
Aussi, l’affaire a prouvé que les deux
trafiquants connaissaient parfaitement la nature illégale de
leur activité. Eloi SIAKOU SOKOTO a ainsi déclaré : « Le commerce de l’ivoire rapporte beaucoup plus d’argent que les
autres business mais je sais que c’est interdit et c’est très dangereux.» De
même que Modou SARR qui a intentionnellement mentionné sur sa carte de visite « vendeur d’ivoire ». Ils ont
donc fait le choix de s’impliquer dans la contrebande de produits frauduleux en
toute connaissance de cause et en dépit des lois
sénégalaises. Sachant que la loi faunique est appliquée dans d’autres pays
qu’ils craignent, ils préfèrent opérer en toute illégalité et en toute impunité
en territoire sénégalais.
Le
commerce illégal des espèces est un crime organisé transnational. Il ne s’agit
pas de braconnage localisé. Il s’agit du 4ème commerce illégal le
plus important au monde après celui des armes, de la drogue et des êtres
humains selon le Congrès des Nations Unies sur le Crime. Il représente environ
19 milliards de dollars de profit chaque année au niveau mondial. Il est le
fait de réseaux criminels souvent puissants et organisés.
Depuis
quelques années, les massacres d’éléphants se sont intensifiés de façon
spectaculaire, ils se font à grande échelle, à un rythme sans précédent et avec
des méthodes de plus en plus sophistiquées. 96 éléphants sont tués chaque jour
en Afrique, ce qui représente 35 000 éléphants tués par an, uniquement
pour leur ivoire. La demande asiatique, moteur du trafic d’ivoire
international, est la cause directe de la chute massive des populations
d’éléphants partout en Afrique et si rien n’est fait maintenant, l’éléphant
pourrait disparaitre d’ici à 2030.
Aujourd’hui
des preuves irréfutables attestent que l’explosion du trafic d’ivoire porte
atteinte à la stabilité et à la sécurité des Etats africains car les
braconniers et trafiquants ont des puissances de feu de plus en plus
importantes et parce que ce trafic est lié au terrorisme et finance les guerres
dans certaine région, les groupes terroristes somaliens Al-Shaabab, les
Jenjawids sud-Soudannais et les LRA de Joseph Kony sont impliqués dans la
contrebande d’ivoire internationale.
Ce
trafic met en péril les écosystèmes et la survie des personnes qui en
dépendent, et a également un impact non négligeable sur l’économie du tourisme
en Afrique. Le trafic de la faune est un problème de conservation, un problème
économique, un problème de sécurité et un problème de santé.
De plus
en plus d’Etat africain prennent cette menace au sérieux. A l’image des autres
pays de la sous région où ces mêmes infractions sont punies par des peine
allant jusqu’à 15 ans d’emprisonnement, le Sénégal ne doit être en reste et
devrait procéder à une réforme de son Code. Mais d’ici là, les autorités
sénégalaises doivent relever le défi de la lutte contre ce crime organisé et
faire appliquer la loi, afin de stopper le massacre, stopper le trafic, stopper
la demande !
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